Journal de confinement de la MJC : Jour 1

L’Etat-Providence survivra-t-il au coronavirus ?

Chose promise, chose dûe : je poursuis ma rédaction du journal de confinement de la MJC. Avant d’annoncer mon sujet, je veux préciser que je recherche toujours une vulgarisation optimale pour mes écrits ; c’est à dire la compréhension du plus grand nombre, sans perdre en richesse du contenu. Je me donne ainsi comme objectif de simplifier mes phrases à rallonge et de raccourcir au plus les prochains articles (clin d’oeil à ceux qui me connaissent et me lisent par ailleurs).

Ainsi, j’aimerais écrire prochainement sur un sujet qui me touche et me révolte particulièrement : les attaques contre l’Etat-Providence. Je l’ai déjà évoqué brièvement dans mon article d’introduction (Journal de confinement de la MJC : Jour 0, consultable ici : http://mjc-saintnicolasdeport.org/journal-de-confinement-de-la-mjc-jour-0/ ), et je vais ici développer davantage ce qu’est l’Etat-Providence. J’évoquerais également quelques attaques qu’il subit, et qui sont ses opposant.e.s. Aujourd’hui plus besoin d’être expert.e ou spécialiste pour voir que notre système économique a détérioré notre système de santé au point que les soignant.e.s soient en danger, et qu’il n’y ait pas de matériel médical en quantité et en qualité suffisantes pour tous et toutes, mettant par là nos vies en danger. Nous pourrons alors ensemble débattre et peut-être répondre à un questionnement : tous ces morts, a qui la faute ? Le covid-19, ou le capitalisme néolibéral ?

L’Etat-Providence, késako ?

L’Etat-Providence peut être résumé assez simplement : c’est le fait que le peuple signe un contrat avec l’Etat pour se protéger. Pour le dire de manière simple, ce sont des gens, les citoyen.ne.s, qui mettent en place des institutions au sein de l’Etat pour se protéger eux et elles-mêmes, par le biais de différentes aides. En France, on connait tous et toutes ces structures et les aides qu’elles versent : la CAF avec par exemple le RSA et l’aide au logement (il en existe 27 au total), Pôle Emploi avec l’allocation chômage, la Sécurité Sociale avec les prises en charge médicales, etc..

En France, notre Etat-Providence actuel s’est doucement conçu notamment en deux périodes : avec le gouvernement du Front Populaire de 1936 à 1938 (instauration des congés payés, réduction du temps de travail de 48h/semaine à 40h/semaine) et dans l’après-guerre (1945 : création de la Sécurité Sociale, 1950 : création du SMIG qui deviendra le SMIC en 1970). On s’est pour cela inspiré des deux modèles de nos voisins allemands et anglais :

  • Les allemands, depuis 1880, suivent un modèle que l’on appelle bismarckien (car mis en place par le chef d’état allemand Otto von Bismarck) : ce modèle prend une part du revenu dégagé par le/la travailleur.se pour nourrir des caisses qui aideront ces mêmes personnes en cas de maladie et/ou d’accidents de travail, et à la fin de leur vie professionnelle. Cette part du revenu est prise avant le versement dudit revenu aux travailleur.se.s, cela s’appelle des cotisations sociales.
  • Les anglais, à la fin de la seconde guerre mondiale et dans les premiers jours de l’après-guerre, mettent en place le modèle beveridgien (du nom de William Henry Beveridge, économiste anglais) : ce modèle demande à tous et toutes de payer à l’Etat une redevance, qui nourrira une caisse qui soutient tous les membres de la société. Cette redevance est un impôt, et ladite caisse ouvre des minima sociaux, comme le RSA en France actuellement ou l’allocation chômage.

En une phrase, la différence réside en qui sont les bénéficiaires de ces aides. Dans le modèle allemand de 1880, on aide que ceux et celles qui cotisent, donc les travailleur.se.s. Dans le modèle anglais de 1945, les travailleur.se.s aident l’entièreté de la population. En France aujourd’hui on marie un peu de ces deux systèmes avec cotisations sociales et impôts dans le but d’aider tout le monde en ayant besoin.

Un peu d’histoire : pourquoi tant de réformes dans l’après-guerre ?

Pour faire une lecture sociologique de cette période de l’histoire, il faut s’imaginer que lors de la seconde guerre mondiale, les patrons des grandes entreprises ont massivement collaboré avec les dictatures européennes (Allemagne, Italie et Espagne). On peut retrouver des chouettes anecdotes sur internet (vérifier les sources toujours!) :

  • Bayer achetait des femmes juives et tziganes aux nazis pour tester des produits pharmaceutiques directement sur elles sans précautions particulières.
  • Hugo Boss a juteusement profité de contrats avec l’armée nazie pour s’enrichir, fabriquant la plupart des uniformes des SS1.
  • Opel s’est fait plaisir en « recrutant » des ouvrier.e.s parmi les prisonnier.e.s des camps de concentration et ne s’embetait donc pas à les payer, dégageant ainsi de plus gros profits pour ses dirigeant.e.s et ses actionnaires.
  • BMW lui a emboité le pas en faisant travailler, jusqu’à la mort parfois, des prisonnier.e.s afin de fabriquer des armes nazies.
  • Louis Renault, fondateur de l’entreprise du même nom, aurait eu des contacts « privilégiés » avec Adolf Hitler et ils se seraient rencontrés plusieurs fois.
  • Pour conclure cette liste, je citerais celle que je préfère : la récompense d’Henry Vuitton par le régime nazi en « remerciement de sa loyauté ». Il aurait en effet dès 1940, avec son frère Gaston, fondé une usine spécifiquement dédiée à la fabrication de bustes du maréchal Pétain, entre autres…

Préférant enterrer ce genre de secret à la sortie de la guerre, les capitalistes (entendre par là les patrons et les actionnaires, ceux et celles qui se sont enrichis sur le dos des autres) se sont retrouvés dans un rapport de force avec les travailleur.se.s qui leur était défavorable. Attention, d’un point de vue sociologique, il y a toujours, et de manière permanente, un rapport de force entre travailleur.se.s et patron.ne.s. Cela s’explique simplement par le fait qu’ils et elles n’ont pas les mêmes intérêts. Une entreprise souhaite s’enrichir, quitte à moins payer ses employé.e.s. Un.e travailleur.se a des désirs personnels : avoir un travail calme, ne pas vivre dans la misère, avoir des enfants… Il y a donc parfois des conflits. (Pour les plus intéressé.e.s, une courte explication de Frédéric Lordon : https://www.youtube.com/watch?v=8_jhVZXKoNY )

Tout ça pour dire qu’à la sortie de la guerre, les capitalistes pouvaient ranger leur domination dans leurs chaussettes ! Toute la société était contre eux suite aux affaires commises sous la guerre notamment. Toute ? Non, seulement une bande d’irréductibles ouvrier.e.s, syndiqué.e.s, communistes et autres opposant.e.s politiques.

L’ONG Oxfam2 (rapport de janvier 2020) nous informe que 1% des gens les plus riches du monde possèdent le double que ce que possède 92% de la population mondiale. C’est une réalité. Pourtant il est faux de schématiser deux camps : les méchants 1% d’exploiteurs et les 99% du peuple qui lutterait contre. Car il est faux de concevoir « le peuple » (définit ici par les 99% les plus pauvres) comme un groupe dans lequel chaque individu.e aurait les mêmes désirs et les mêmes opinions que les autres. Le peuple c’est la somme de ce médecin avec un revenu mensuel de près de 5000€ comme ces smicards qui en gagnent 1218, ces multipropriétaires comme ces SDF (avec ou sans emploi), ces patrons comme ces chômeurs…

Ainsi, pour revenir à mon propos, c’est grâce aux « écarts de conduite » des 1%, des capitalistes riches, que les militant.e.s de l’époque (résistant.e.s, ouvrier.e.s, syndicats, partis d’extrême-gauche) ont pu arracher aux plus riches et puissant.e.s des droits sociaux pour tous et toutes. Des droits sociaux qui coûtent cher. Car effectivement, il ne faut pas se leurrer : entretenir un Etat-Providence coûte « un pognon de dingue » nous explique Macron, et il a raison ! Mais on pourrait se demander : que faire de mieux des milliards d’euros dégagés par les entreprises … pardon, par les travailleur.se.s ? Et se questionner, vis-à-vis de la crise actuelle : à quel point est-ce économique de restreindre le budget alloué à la santé ? Moins de personnes en bonne santé amène à moins de travailleur.se.s productif.ve.s et donc moins de richesses produites… Et en même temps, vous soigner coûte cher et ne rapporte rien financièrement ! C’est une question que j’étudierai dans mon prochain article.

L’opposition à un Etat-Providence : les néolibéraux

L’Etat-Providence, par définition, s’oppose à un Etat libéral. Pour la faire courte, l’Etat libéral se définit par un renoncement de l’Etat au contrôle de toutes les transactions, les aides aux entreprises et aux personnes. L’Etat se retire de ses missions de protection et laisse le « saint marché » vivre sans son intervention. Cela a des conséquences bien connues dorénavant :

  • Aucune régulation de l’Etat dans l’éthique des entreprises, et donc toute-puissance du patronnat face aux salarié.e.s = fin du droit du travail et possibilité de développement d’un esclavagisme moderne
  • Ruine des PME (Petites et Moyennes Entreprises), des indépendant.e.s et des artisan.e.s qui ne pourront faire face à des multinationales énormes, profitant des avantages de plusieurs pays et disposant de trésoreries colossales
  • Fin des aides sociales et des protections contre les risques de la vie, début d’un âge de darwinisme social3 : une guerre pour survivre.

Après tout, les défenseur.se.s de l’Etat libéral ne sont pas fous ni folles, ils y voient leurs propres avantages. Dans un Etat libéral il serait possible de s’enrichir plus que de raison et de posséder à titre individuel plus qu’un pays, par exemple en montant une entreprise de stockage, d’import-export et de livraisons de tout via internet… Jeff Bezos, patron d’Amazon, l’homme le plus riche du monde, possède aujourd’hui près de 130 milliards d’euros (selon Forbes4, chiffre de 2019). C’est à dire 130 000 000 000 €. En d’autres termes, c’est comme s’il avait travaillé 106 732 348 mois au SMIC, soit un peu moins de 9 millions d’années. Ou encore, si vous décidiez de compter l’argent de Jeff Bezos, en imaginant qu’il n’en gagne plus ni n’en perde, en comptabilisant 1€ par seconde, il vous faudrait 4122 ans et 2 mois et demi pour tout compter. Ca devient rigolo : si je continue comme ça, on peut estimer que Jeff Bezos à lui seul possède autant que ce que produit l’Ukraine en un an, selon la Banque Mondiale (chiffre de 2018). Concrètement, Jeff Bezos pèse économiquement plus lourd que 150 pays. Bref j’arrête là, merci Jeff pour ce moment de calcul fun. Par contre je ne te remercie pas pour les millions de travailleur.se.s que tu appauvris par ta seule richesse.

Pour vous parler de choses plus concrètes, le glissement vers un Etat libéral est en train de se produire en France depuis plusieurs décennies. Via la privatisation des hopitaux, l’appauvrissement des services publics, les aides davantage versées aux grandes entreprises qu’aux indépendant.e.s et PME… Et ce glissement prendra peut-être davantage d’ampleur avec la crise du coronavirus, qui ne sera pas uniquement sanitaire, je le rappelle.

Cependant je me dois de tenir ma promesse d’articles plus courts, et on parlera de la récession, des politiques d’austérité que l’on subit depuis plus de 10 ans, de l’étude du PIB, des crises fonctionnelles nécessaire au capitalisme et de Gerard Darmanin dans mon prochain article.

Conclusion

Une crise économique et sociale nationale, mais également mondiale, arrive ; vous l’avez compris. Et nous devrons tous et toutes prendre une position, que l’on milite ou que l’on reste chez soi. Il n’est pas de ma volonté de vous convaincre, de vous faire adhérer à quelconques idées mais de vous informer, de débattre et de partager du savoir. Tenez vous prêt.e.s : ferons-nous quelque chose, dans la lignée des militant.e.s de 1936 et de 1945 pour que cette crise soit profitable à tous et à toutes, ou passerons-nous l’éponge par confort ?

Je souhaiterais que dans le malheur des pertes humaines, il y ait du réconfort. Que l’on puisse dire aux familles endeuillées qu’ils et elles ne sont pas mort.e.s pour rien. Oui, nous sommes en guerre comme l’a martelé notre président. Nous sommes dans une guerre économique insidieuse qui tue chaque année et qui tue sous des formes différentes (dans l’article suivant on parlera de la mortalité causée par la pauvreté en France). Combien de victimes évitées si le budget à la santé n’avait pas été grignoté depuis 20 ans ? Combien de victimes évitées si Sarkozy et Hollande n’avaient pas supprimés près de 250 000 lits des hopitaux français ?

Dans le cas où vous souhaitiez essayer d’améliorer la vie de tous et de toute, l’éducation populaire répondra présente, au moins en partie, et j’en serai, pour soutenir une position forte et faire en sorte que la France redevienne le pays dont son peuple peut être fier : le pays des droits de l’Homme de 1945, le pays qui a vu naître le Front Populaire et qui a libéré les peuples d’Europe de la monarchie. La France était alors reconnue internationalement comme un Etat-Providence, et nous pouvions en être fier. Alors vive le peuple et vive la France !

Guillaume,

Président de lui-même

Anarcho-communiste, socialiste, républicain et nationaliste d’extrême centre

Je vous aime putain.

1La SS pour Schutzstaffel, traduit littéralement « escadon de protection », était une milice nazie assurant la garde rapprochée d’Hitler. Elle est ensuite devenue une grande organisation, principale responsable des exécutions des juifs d’Europe à cette époque.

2Oxfam est une ONG enquêtant sur les inégalités mondiales, notamment économiques.

3Le darwinisme social se définit par la lutte pour la survie au sein de la société, « l’homme est un loup pour l’homme ». Il a été théorisé par Spencer (1820-1903), philosophe anglais, et montre une mécompréhension des écrits de Darwin qui mena à une totale ré-interprétation. Darwin parlaient de procédés naturels au sein de l’évolution des espèces, Spencer a repris ses concepts pour l’appliquer à la société humaine.

4Forbes est un magasine d’économie connu pour ses classements des plus grandes fortunes mondiales.

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